mercredi 26 mars 2014

Focus sur Monsieur Fouillet

On va analyser aujourd'hui une interview donnée par Fabrice Fouillet à Madame Cordova sur le site Focus Numérique et se régaler, une fois de plus, de l'importance des mots.
Tout commence dès l'introduction avec les références et l'étonnement du travail. On nous parle de promenade surréaliste de paysage/portrait d'églises... Surréaliste ? Certainement que ce vocabulaire est ici utilisé dans sa définition la plus vulgaire, car il n'y a absolument rien de surréalisant dans ce travail, peut-être à la rigueur, un peu d'imaginaire mais sans doute pas d'étrangeté psychanalytique ou d'onirisme appuyé. Pourquoi donc aller chercher ce mouvement ?
On s'étonnera aussi de l'incapacité à séparer les termes paysage et portrait sans doute là aussi parce qu'il semble difficile à l'auteur d'attribuer à une construction l'idée d'un portrait mais qu'on ne pourrait pas non plus ici lui attribuer le terme de paysage parce que... on est à l'intérieur et qu'il n'y a d'arbre, pas d'horizon marqué. Cela me fait penser à mes étudiants qui n'osent pas dire d'une peinture représentant une chaise qu'elle est figurative... On s'étonnera par contre de l'absence totale de référence à la peinture architectonique hollandaise...
Puis on nous nomme les Becher...Voilà. Il fallait en passer par là car aujourd'hui toute photographie vide, symétrique, frontale (existe-t-il une Photographie non frontale ?) permet à tout un chacun de se croire dans cette lignée. On notera aussi que la photographie industrielle est évoquée... Mais laquelle ? Celle de Doisneau chez Renault ? Celle de Kollar ? On ne sait pas... Certainement, une fois encore est-ce l'idée générale que l'on se fait de la photographie industrielle qui est évoquée. On fait de grands tiroirs. On remarquera les termes d'inventaire rigoureux qui seraient ici, à la différence des anonymes de cette photographie industrielle, visités par les mystères de l'onirisme surréalisant pour bien nous faire croire qu'il se passe là quelque chose d'original. Ce truc sémantique est connu, on place une qualité pour la dénier ensuite.
Puis vient une sorte de chef-d'œuvre :

Fabrice Fouillet nous restitue ce besoin d'exprimer la spiritualité moderne sous une forme qui la fait déborder radicalement de la tradition.

D'abord le verbe restituer qui place l'auteur dans une logique d'inventeur, de révélateur au commun puis le mot moderne est placé pour troubler la radicalité de la tradition. Ce qui est une absurdité totale et une méconnaissance de l'histoire de cette spiritualité chrétienne et de sa parfaite corrélation à la modernité dans ce vingtième siècle ! La seule tradition du Christianisme dans la période des Trente Glorieuses c'est la modernité ! Et son besoin de coller à son époque sur le plan architectural, excusez-moi, la place même du côté de l'avant-garde. Là encore, on utilise une idée commune sur ce que serait le monde religieux qui serait tellement réactionnaire qu'il y aurait une sorte de surprise incroyable à en découvrir l'inverse ! Or, je le répète, et tous les auteurs de livres sur la question de l'Art Sacré avec moi, le vingtième siècle est pour l'église catholique le siècle de l'avant-garde et de la modernité architecturale ! 
On continue avec Fabrice Fouillet qui affirme :

Le décalage entre image religieuse classique et modernité architecturale me paraissait intéressant.

Mais quelle image classique ? Là encore, il s'agit d'un pensum, d'une image pour soi, détachée même de l'aventure de la connaissance et d'une réalité historique. Il n'y a, de fait, aucun décalage. Monsieur Fouillet aurait pu dire que "j'avais de l'église une idée d'image qui fut troublée par sa grande modernité..."
Vient ensuite l'explication sur la méthodologie et le fameux (et maintenant académique) cadrage frontal et symétrique ainsi que le vide total de présence humaine. Ce que semble aimer et défendre Mr Fouillet c'est la sensation incroyable qu'il y a dans la similitude des opposés, principe idéal du collectionneur devant ses planches de papillons qui s'émerveille de l'écart dans la ressemblance. Principe décliné à l'envi chez les Becher et qui, s'il y avait une raison documentaire chez eux, est devenu chez les suiveurs, une forme  qui ne propose rien d'autre qu'un manque évident d'originalité sur la manière de voir et de restituer par l'image une architecture. Le vide.
Puis vient l'écrasement... Pas l'élévation !
Ce terme là encore voudrait nous faire réagir sur une image que Mr Fouillet a de l'objet cultuel. L'autel n'est pas écrasé par les hauteurs mais, dans l'ensemble des architectures contemporaines, est placé sous une hauteur pour l'élever au contraire ! Il s'agit d'offrir à cet espace sacré pour les fidèles un élément spatial généreux qui sert les gestes de l'office et replace la cérémonie dans une générosité spatiale et une ouverture qui correspond aux aspirations religieuses ! Toute l'architecture de l'Art Sacré Moderne et Contemporain s'est posée cette question d'une solennité ouverte et de la place de l'acte religieux fasse au fidèles en réussissant dans la révolution de Vatican II justement à ré-ouvrir cet espace ! Quel contre-sens historique ! Mais il suffirait pour comprendre cela d'aller une fois à la messe... et c'est un athée qui vous le conseille ! Et connaissant très bien beaucoup de ces églises et notamment celle de Monsieur Gillet à Royan, il n'y aucun doute sur ce désir de l'architecte quant à cette élévation ni sur sa réalité physique.

Notre-Dame de Royan : en haut éditions Berjaud, en bas éditions Artaud.


 L'échelle de l'autel n'est pas la preuve de son écrasement (autel d'ailleurs dessiné par l'architecte) mais la réalité de la remise au centre dans cette élévation de ce qui est le plus important dans une église : l'homme.
Alors abandonnez un peu la photogénie qui vous égare et regardez ce qui se passe dans ces églises et leur réalité programmatique !
Et attention :

J’ai aussi recours a une légère désaturation lorsque les couleurs me paraissent trop "criardes". C’est un choix esthétique : les couleurs trop vives enlèvent de la modernité à l'image qui penche alors du côté de la carte postale.

Là franchement... J'en ai marre de lire cela. "La carte postale" n'existe pas Monsieur, il y a autant de types photographiques et de photogénie pour reprendre votre expression qu'il y a de photographes de cartes postales ! Quelle mépris pour un objet qui ne vous a pas attendu pour faire de la photographie ! Lucien Hervé est un mauvais photographe ? 
Quel mépris pour une photographie qui vous permet tout de même de trouver vos trophées de chasse !
Quel mépris pour des photographes qui pendant des années ont eux, sans le fantasme contemporain, réussi à faire un vrai travail d'inventaire ! 
Toutes les églises modernes existent en photographie grâce aux éditeurs de cartes postales.
Vos guillemet sur  "criardes" vous protège de qui et de quoi ? La saturation est une qualité me semble-t-il quand Monsieur Depardon l'utilise. En quoi la couleur criarde enlèverait de la modernité aux images ? Alors même que la coloration puissante est la marque de nombreuses de ces constructions modernes à Baccarat par exemple, couleurs qui font l'incroyable modernité de ses lieux !
Et que dites-vous de la jubilation de Martin Parr face à John Hinde ?
 Et croyez bien Monsieur que les photographes de cartes postales ne vous ont pas attendu pour être modernes... Et toutes les qualités dont vous vous prévalez sont déjà inscrites dans cette photographie populaire que vous reniez pour faire semblant de l'inventer. C'est tellement naïf...
Et on continue ?
On passera sur les recherches sur internet prises pour un affût de chasseur mais on s'amusera que pour sa série Monsieur Fouillet trouve la chapelle (et non l'église !) de Le Corbusier trop... étriquée ! Là, j'avoue que les bras m'en tombent ! Au début on critique l'élan qui écraserait puis soudain on se plaindrait d'une échelle plus courte ? Et que penser de cet adjectif face à ce lieu ? Je vous propose un petit rappel :

Ronchamp : en haut carte postale par Charles Bueb, en bas édition Combier.

 

N'importe quel pélerin saura trouver à Ronchamp l'élan et un bon photographe de cartes postales saura cadrer pour le trouver également chez Le Corbusier. Il faut croire que les papillons trop particuliers n'entrent pas dans les boîtes du collectionneur car l'exception trop appuyée perturbe sans doute l'idée d'une froideur objective... Et on admirait plus haut le génie inventif... Et on parlait d'inventaire...
On a donc dans cette interview un ramassis de tous les poncifs de la photographie plasticienne académique : des références digérées que pour ce qui concerne l'image et non le fond, une frontalité, un vide et un choix d'objets restreints et débités à l'envi comme si on avait réussi le tour de force pour inventer un concept de faire faire à Ed Ruscha et aux Becher des petits enfants. Ces nouveaux photographes trouvent un sujet qui, plus il est vintage plus il intéressant, qu'ils nommeront corpus ou typologies, s'en mettent toujours à la même distance, bloquent l'humanisme, intériorisent quelques discours post-post situationnistes et sociologiques et font du protocole de prise de vue le résumé d'une faiblesse plastique avec un cynisme assumé comme politique.
Alors on pourrait bien se régaler de voir ces belles églises bien photographiées. Certes. 
Et les images (et non photographies) de Monsieur Fouillet sont de belles images. Elles donnent à voir et c'est déjà ça. Mais pourquoi poursuivre encore ce regard épuisé de l'objectivité sur des lieux qui sont habités ? Et surtout pourquoi appuyer ce travail sur le mépris d'un autre genre qui est pourtant dans l'ensemble de ses qualités simplement le précurseur de tout ce petit monde ?
Pour s'inventer une légitimité ?
Comme je sais que Monsieur Fouillet doit tomber régulièrement sur mon blog, je lui fais ces quelques cadeaux pour ses prochaines visites. Nous, nous continuons ici à travailler, on vous laisse la promenade. Vous plongerez dans ces cartes postales avec votre mépris pour cet Art, cela vous donnera l'occasion de  faire des images.


1 église de Donges, Dorian Architectes, les artistes paysagistes éditeurs
2 église de Pontmain, Chapelle de Marie immaculée.
3 église de St Jean Apôtre, Maurice Blanc architecte, d'après Kodak Ektachrome éditions André.
4 Cathédrale de Coventry, Pitkin Pictorial postacards éditeur.





dernière : église St Canisius, Berlin, Hofbauer architecte, éditions Wienand Stockmann.

1 commentaire:

  1. Pour compléter ce brillant texte de David, procurez vous "Eglises d'aujourd'hui patrimoine de demain. Colloque sur l'architecture religieuse contemporaine "Spritualité et art, 1998 (176 pages); "car l'autel chrétien, à la différence de ceux d'autres religions, est par son origine et par nature une merveille de discrétion, d'équilibre et d'intériorité. Son caractère "sacrée (ou spécifique) n'est pas celui d'un monument, d'un objet ou d'une chose ; il est directement lié au mystère personnel du Christ et de Pâque, à la dernière Cène, au repas du Seigneur".../..."Et nous pouvons penser que malgré nos habitudes contraires - qui vont à la monumentalité, aux grands emmarchements, à la scénographie- c'est précisément cette qualité personnelle de présence que nous recherchons d'instinct lorsque nous entrons dans une église et que nous avançons vers l'autel."

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