mercredi 2 septembre 2015

Le chemin mécanisé

Si on a l'habitude de lire des articles sur l'importance de l'invention de l'ascenseur pour l'architecture moderne et bien évidemment pour l'invention des tours, on note peu d'intérêt me semble-t-il pour l'escalier et le trottoir mécaniques.
Pourtant certaines des plus remarquables architectures du siècle passée on fait de ces objets le signe même de leur architecture comme le Centre Pompidou. La façade devenue célèbre par son serpent courant sur l'extérieur, projetant le visiteur comme au dehors de la construction et le faisant monter dans les étages dans une sorte d'intestin transparent n'a pas de vraie utilité architecturale autre que le spectacle même d'arpenter ainsi le ciel de Paris, car, ne l'oublions pas, on peut tout aussi bien pour monter dans les étages en prendre l'ascenseur...
En striant ainsi la façade, les architectes nous emmènent bien dans une machinerie de vision offrant une ascension tranquille, douce, assistée. Oui. Assistée. C'est là aussi une forme du cool qui dit bien que la Culture peut aussi se visiter non plus pour elle-même mais pour l'objet architectural, la promenade qui vous y mène. Enfant, je me souviens que mon souvenir le plus fort de cette première visite n'était pas tant les oeuvres que j'y avais vues mais la joie de faire ainsi la montée et la descente de la façade sur les escaliers mécaniques. Devenu une véritable signature et même son logotype dessiné sur un coin de table par le génial Jean Widmer, l'Escalator de Beaubourg est sans doute le plus célèbre du monde. On notera aussi que celui-ci mène en son point le plus haut à une sorte de vigie, de plate-forme qui est encore aujourd'hui pour les visiteurs d'un jour le point focal de la visite. Voilà bien un acte architectural des plus curieux faisant du mouvement tranquille et doux, sans effort des visiteurs, un peu comme un petit train des bains de mer, l'un de ses moments les plus importants et cela en étant vu en train de le faire. La visibilité du flux humain circulant ainsi dans un boyau argumente le populaire, le simple, l'accessibilité du lieu de la Culture. Il s'agit d'une pratique sans effort du corps comme pour le tranquilliser à l'avance à la chance de la visite de l'art. La fête foraine assagie reste une fête et j'ai mis longtemps pour ma part depuis mes très nombreuses visites à renoncer à ce moment pour toujours aimer encore et encore faire monter sous mes yeux le spectacle (oh pardon Guy...) le spectacle superbe de la ville. Je prends souvent maintenant l'ascenseur mais je reste joyeux à cette opportunité urbaine.
Et si nous avons déjà décortiqué cet objet par les cartes postales, je ne peux vous priver de celle-ci si représentative de la production autour du Centre Pompidou. Il s'agit d'une édition Yvon non datée mais qui nomme les architectes Renzo Piano et Richard Rogers.



Mais d'autres lieux ont fait du spectacle de leur circulation un moment de leur architecture. L'un des plus géniaux, des plus beaux et, j'ose sans doute des plus intelligents dans l'utilisation de l'Escalator et du trottoir roulant, est l'aéroport Charles de Gaulle par Paul Andreu. Au centre, à la croisée même des destinations, s'opère dans un moment architectural unique le programme d'un aéroport et un jeu avec les utilisateurs. La croisée des trottoirs roulants et des Escalators reste l'un des hauts lieux de l'architecture contemporaine. On évoque souvent pour ce lieu les croisements infinis et sombres des prisons de Piranèse mais la lumière ici bien trop puissante ne permet sans doute pas de totalement adhérer à cette image. Ce qui est troublant c'est que si l'architecture est claire, la sensation spatiale pourrait laisser ici croire à une anarchie, une incohérence des croisements des tubes. Cette asymétrie entre la réalité de l'objet et sa perception permet bien de jouir d'un moment architectural presque comique un peu comme des circulations impossibles et vaines dans un film de Tati. Là aussi, ma première utilisation de cet espace est restée gravée dans ma mémoire comme une surprise, un jeu partagé avec les autres visiteurs étant tour à tour l'un des animateurs et l'un des regardeurs. La tranquillité associée à la régularité du déplacement mécanisé fait de chacun des corps des visiteurs une sorte de personnage, de silhouette que l'on s'amuse à suivre des yeux tout en étant à son tour observé. La suspension dans le vide, la succession des tubes les uns sur les autres ajoutant une dramaturgie drolatique.







































La carte postale qui montre cela est une édition Cap-Théojac pour la superbe série Prestige. Le photographe n'est pas un inconnu puisqu'il s'agit de Marc Garranger qui réalisa pour la même série Prestige des cartes postales du Centre Pompidou ! Malheureusement, la carte n'est pas datée. Il est certain et assez logique pour un photographe de vouloir enregistrer comme un lieu faisant exception cet espace de l'aérogare tant il lui est particulier et unique. Le cadrage est fait depuis une hauteur en plongeant sur l'objet et raconte ainsi l'histoire des déplacements, des carrefours, des croisements incessants. Le photographe lui donne sa modernité et sa particularité. On s'étonnera donc qu'une si belle carte postale pour une si belle architecture ne nomme pas son architecte Paul Andreu.

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