dimanche 14 août 2016

Philodendron Monstera Matisse

Peut-on faire de l'histoire de l'architecture par les plantes vertes ?
Nous nous sommes déjà souvent amusés ici des possibilités de cette présence dans des articles.
Ici :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/07/raoul-le-palmier.html 
Ou ici :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html

http://archipostcard.blogspot.fr/2010/10/le-corbusier-interieur.html

Quelle place le bac à fleur a-t-il dans les espaces de l'architecture, comment une plante devient pour des années un objet de décoration obligatoire ?
Le Philodendron Monstera est de ces plantes-là. Je veux dire que sa présence dans une photographie peut presque permettre de dater l'image ! Très à la mode dans les années cinquante, un peu comme le fut le palmier à la Belle Époque, le Philodendron Monstera semble toujours, en tout cas pour moi, évoquer l'héritage de Matisse.
Regardons :



Les plus fidèles reconnaîtront peut-être l'église d'Arnouville-les-Gonesse par les architectes Debré, Serraz et Small. Nous ne pouvons remercier personne pour cette carte postale qui ne comporte ni nom d'éditeur ni de photographe. Pourtant, comment ne pas aimer être ainsi, dans cette belle composition en noir et blanc, placé devant l'autel fait de blocs bruts de pierre et dans cette lumière bien distribuée qui construit par des contrastes des murs et des plafonds un espace réellement superbe. On notera que depuis cette photographie, le reste de l'église semble plongé dans un noir intense. Mais je crois que vous me voyez venir.





De droite et de gauche, montant vers cette lumière apparaissant dans une saignée du plafond, deux Philodendrons tentent de rendre présente cette lumière par leurs ombres et leur dessin, motif simple, égal, découpé, qui brise un rien la blancheur des murs. J'aime observer le détail curieux de la petitesse du pot par rapport à la hauteur des deux plantes, j'aime qu'elles soient bien, avec les découpes des vitraux au fond, les seuls décors de cet ensemble. Le curé ou une paroissienne zélée avaient-ils trouvé que l'architecture manquait un peu de vie ? Qui décida de l'achat, qui a fait ce choix, sur quel critère ? L'espace sacré de l'autel a-t-il pu trouver là l'expression parfaite de sa simplicité et de sa rigueur ? Ont-elles dialogué ensemble ces deux plantes ? Oui, c'est certain.
Mais si j'aime la peinture, si j'ai poursuivi cette idée de l'art, c'est bien parce qu'un jour, dans un collège, Monsieur Philippe Radigue nous parla de Matisse. (Merci)
Et, ce pli joyeux d'une vie dédiée à l'observation du monde, à la jubilation des formes, à la couleur découpée par la nature ou par les ciseaux d'un vieux monsieur, ce pli est présent chaque fois que je regarde une feuille de Philodendron qui, immanquablement, me fait penser à Matisse.
précisément, ce Matisse :





Nous sommes dans la célèbre et magnifique Chapelle du Rosaire à Vence réalisée par Matisse. La carte postale ne nous donne que le nom de son photographe, H. Adant. Comment ne pas immédiatement être saisi par ce travail de couleurs, de formes, de motifs qui s'inscrivent dans une découpe architecturale extrêmement pauvre, du moins, simple : deux grandes et longues baies. L'éparpillement régulier des motifs jouant à nous faire croire à leur égalité, la manière dont Matisse dessine le voile, le rideau bleu pendu sur le devant jaune de la lumière, comment il nous indique la trouée du bleu par les feuilles, tout cela me revient à l'esprit lorsque je vois une feuille de Philodendron et son ombre, que ce soit sur l'image d'une église moderne ou à la jardinerie du Leclerc.
Une joie simple mais complexe, faite d'un œil cultivé, d'une main guidée et d'une connaissance parfaite de la nature du regard. Saisir à pleine main la couleur.

édition Photoguy


Mais si Matisse s'est fait architecte (bien soutenu) à Vence, il n'a pas fait là un machin, un bidule, un truc tonitruant et ébouriffant. Il n'est pas tombé dans le piège du dessin devenu plan, de l'élévation inutile d'une courbe. Il a fait une sorte de maison subtile, presque habitée par hasard par ses dessins et ses couleurs, presque timide dans son apparition. Il a fait l'une de ces chapelles qui apparaissent au détour d'un chemin de campagne. Cela ne manque pas d'ambition. Car, avant tout, tout ici doit être au service d'un  rapport au monde. Qu'importe si ce rapport passe par la Foi ou l'amour, par la jubilation des sens ou la joie des formes.
Le confort d'un bon fauteuil, certes, mais d'un fauteuil placé devant le bleu du ciel filtré par la feuille découpée d'un Philodendron Monstera et tachant la robe de Saint Dominique.

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