lundi 7 novembre 2016

Bunkers balnéaires et une conférence

Cet article n'a d'autre objet que de vous rappeler que vous pourrez me voir en conférence-débat ce  mercredi 9 novembre à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine accompagné de François Chaslin pour évoquer la représentation de l'architecture du balnéaire par les cartes postales.
Le rendez-vous est à 19h et il est possible et souhaitable de s'inscrire.
Voici le lien :

http://www.citechaillot.fr/fr/auditorium/photographie/images_cite/26328-le_balneaire_en_cartes_postale_autour_de_la_collection_de_david_liaudet.html

Comme je ne veux pas brûler la conférence de mercredi, je vous donne juste quelques petites gourmandises qui vous donneront le ton. Vous comprendrez facilement qu'il ne me sera pas possible de faire en une seule conférence ce que je fais sur ce blog depuis bientôt 10 ans.
J'espère donc vous voir et débattre avec vous, chères lectrices et chers lecteurs dont souvent je ne connais pas les visages !
À bientôt donc !

Je voudrais commencer par un détail qui soulève, chez moi, une profonde émotion :



Ce bunker penché évoque bien entendu pour les amoureux du béton les travaux de nos deux architectes brutalistes français les plus éminents : Paul Virilio et Claude Parent.
D'abord sa masse, saisie à la limite de sa disparition, tombant à jamais dans les flots et dans nos souvenirs, si Paul Virilio ne nous avait pas permis de l'aimer autrement que dans le piège aisé d'une mémoire dure et réelle, celle de la violence guerrière.
Le retournement qu'opère Paul Virilio n'est pas un retournement d'oubli, c'est, au contraire, pour celui qui sait le lire et surtout vivre ces bunkers, un regard respectueux de ce qui s'est passé là. D'abord une architecture des sens, pour laquelle la gravité des corps et la vue sont essentielles car ici troublées par le glissement de ces masses.
J'en profite pour citer ceci :
".... que les petits graffeurs ridicules qui posent leurs peinturlures sur ces peaux de béton n'ont rien mais rien compris de ce que ces bunkers peuvent porter comme indéniable puissance mémorielle et vaudou. Toujours cette croyance que aimer ces objets serait douteux. Mais bien au contraire, s'en saisir comme socle à sa peinture, sans égard pour ceux qui réclament le silence visuel, est bien un acte répugnant contre un Patrimoine qui n'exige qu'une seule chose : disparaître tranquillement sous le poids de la Gravité Universelle. La dernière mission du Bunker est de mourir, attiré irrésistiblement vers le centre de la Terre pour y cuire comme une urne en céramique de béton, et revenir à la surface en un flot de lave rouge et irradiante que seul l'homme conscient de cet héritage verra alors comme une énergie nécessaire à notre histoire.
Nous demandons donc un classement immédiat des témoins architecturaux et paysagés du Mur de l'Atlantique et donc une réparation physique et morale de ceux qui osent ainsi s'emparer de cette mémoire." 
Comité de Vigilance Brutaliste, 2015.

Mais revenons à cette carte postale :



Les éditions Artaud nous offrent ici l'une des plus belles images de la France en Reconstruction. D'abord la verticalité poétique et voyageuse du mât du voilier venant couper par le milieu la photographie. L'horizon au loin est lui-même séparé. Le photographe attend le passage du voilier dont la légèreté dira le retour des joies de la Plaisance, le retour du cabotage sur les Côtes de France. Le couple assis par terre, des visionneurs de ce changement, des témoins scrupuleux et joyeux à cette renaissance, regarde la mer, le bateau, les pêcheurs. Mais ces témoins lisent aussi le mot PAIX écrit en grand et libérateur, écrit au ras des flots certainement à bout de bras un jour de marée basse et que la mer en revenant viendra caresser doucement. Remercions celui ou celle qui a simplement inscrit ces mots. Voilà messieurs les graffeurs, les vrais écrits, voilà de la Littérature. Un mot, un geste, un lieu et tout est dit. Le bunker penche. Laissons-le pencher, tomber. Profitons, avant son départ complet, de son épiderme, de son vêtement, immense grotte sombre et protectrice dont on fera le totem d'un brutalisme qui se devra d'être avant tout politique avant d'être esthétique et aujourd'hui...Vintage...
Sous nos pieds la pente de ce glissement de sens.



Approchons-nous encore de ce Bunker. Nous sommes encore à Courseulles. Cette fois, l'éditeur Normandas fait œuvre d'historien, raconte la présence, fait déjà un tourisme qui rime ici avec... Gaullisme !
Réduire ainsi la masse des morts, des soldats blessés, des efforts, des combats, de la violence au seul nom de de Gaulle, comme si ce pied posé sur la plage était le seul pied méritant. On notera que l'éditeur, d'une certaine manière, dit bien le souci. De Gaulle posa son pied sur un sol... libéré, c'est dire qu'il arrive une fois le combat terminé...
Allez... Restons tranquilles.
On admirera ici comment rapidement ce tourisme guerrier de la Libération a donc produit ce genre de cartes postales. Au verso, l'éditeur nous indique même les circonstances du combat et nomme déjà un circuit des Plages de (et non DU) Débarquement avec un D majuscule.
Il s'agit bien du même bunker ici appelé blockhaus. La photographie en noir et blanc perpétue une forme dure, tragique que le vide autour accentue encore et que l'affiche vient expliquer et surtout magnifier. On verra dans la conférence d'autres usages des bunkers...





Et si, finalement, ce bunker, cet événement n'était qu'un élément comme tant d'autres des usages de la plage enfin libérée ?



Les petites cabines de plages forment un front joyeux et régulier, le photographe a les pieds dans l'eau et vise la plage et les baigneuses aux enfants. Sur l'immense rocher au fond de l'image se dresse un homme debout regardant la mer. À peine saisit-on qu'il s'agit là d'un bunker. Il faut à l'éditeur nous l'indiquer au verso. Mais j'aime ici ce retour au calme. J'aime la présence entendue de cet objet déjà familier, déjà utilisé, déjà visité.
J'aime ce rocher construit d'un labeur dur qui prendra le lichen, le sel, la rouille, les fientes comme tous les rochers du monde.
Pour finir, l'un des plus immenses :



L'éditeur Jansol nous offre ce point de vue sur la base sous-marine de Saint-Nazaire. Le photographe signe son cliché, il s'appelle Mikaël Audrain. Il compose son image par des diagonales, laissant la base un peu loin, mettant les accessoires du port en avant au premier plan. Regardez comme le photographe est bas, sans doute agenouillé pour faire tenir la verticale de la bitte d'amarrage sur la droite et que les ombres très longues viennent contredire les fuyantes.
La masse de la base est un peu floue mais reste puissante et mystérieuse. On reste à distance car l'objet est immense et qu'il faut le contextualiser, il faut donc... reculer.
Voilà bien une conséquence, voilà bien rapidement une poésie. La masse fait reculer le cadre et agenouiller le photographe. Il y a des hommages que l'on rend naturellement.
Sous nos pieds, une plage, un port, devant nos yeux un ciel, un horizon, un espoir que la France de cette génération saura saisir pour REconstruire ou construire Royan, Le Havre, Lorient, Brest, St-Nazaire, Saint Malo, La Grande Motte, Port Leucate, Port Gruissan... pour faire couler le béton partout sur des fers, pour que Thalassa, la déesse de la mer, puisse se rompre le dos et l'échine contre de solides et beaux rochers que nos plus éminents architectes ont offert à ce moment que l'on nomme le Balnéaire.
Merci pour ces falaises pyramidales, merci pour ces Fronts de mer courbés sur la plage, merci pour ces géants couchés sur le sable.
Vive le bétonnage des côtes

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