jeudi 1 juin 2017

Les Becher pour pas cher

Si vous êtes comme moi, désireux d'avoir dans votre salon, entre la télévision grand écran et la broderie au point de croix, une œuvre originale de Bernd et Hilla Becher, mais que vous avez le budget d'un sous-verre des Emmaüs, alors ne vous reste que cette solution :




Oui.
J'aime autant ceux-là.
Pas plus mais autant. Ce que je veux dire par là c'est que, si ce que ce j'aime chez Bernd et Hilla Becher, ce sont les points suivants : documenter, maintenir par l'image une présence, permettre à chaque objet de s'exprimer dans une égalité à l'autre, inventer un point de vue, faire du volume une image, raconter une histoire industrielle et donc, une histoire personnelle de celle-ci, chanter la variété infinie des formes pour une fonction similaire donc chanter l'imaginaire, collectionner car classer c'est penser alors, ces trois cartes postales de châteaux d'eau sont bien aussi belles, justes, fortes et nécessaires que des photographies des Becher. Et, il n'est même pas question ici de railler l'existence de celles-ci face au travail des deux très grands photographes mais juste, au contraire de dire que leur regard appartient à un monde, monde industriel, monde de l'objet fabriqué et que ce regard construit est la manière mais aussi la raison pour lesquelles on les remet au monde.
La raison.
Pour ces trois cartes postales, il s'agit de promouvoir la société du Ciment armé Demay Frères. Il s'agit de publicité, sans aucun doute. Elles sont en phototypie par J. Bienaimé de Reims. Mais montrer, représenter les réalisations, réclame d'évidence une méthode mettant en avant ce que l'objet porte en lui de particulier à sa tâche. C'est exactement, excusez-moi, la documentation sous-jacente sous l'œuvre des Becher. Retenir avant la disparition ou permettre l'admiration au moment de la naissance sont les points opposés d'une même ligne tendue. Il s'agit certes, de photographie. Il s'agit d'une distance à l'objet, de le rendre lisible en une seule prise de vue, le tenir totalement dans une seule image qui se voudra pour la promotion ou la documentation, la plus attentive possible à l'objet, chantant au mieux ce que l'entrepreneur appellera sa qualité et que les Becher nommeront sa particularité. On voit comment le même ciel blanc dégageant la forme, comment les verticales montent toutes droites, comment la contextualisation paysagère est ici réduite à sa simple présence. On voit comment, par contre, l'entrepreneur Demay Frères raconte dans son cartouche, le lieu, les capacités, l'architecte, alors que les Becher portent les constructions par leurs seules images. En fait, ce que les mauvais artistes veulent réduire à une "typologie" n'est, ni chez les Becher, ni chez Demay Frères une question. Dans les deux cas, nous sommes bien quelque part, et devant quelque chose. Et ce devant soi, ce ça, cette présence, debout dans le ciel, doivent d'abord raconter leur force, leur aura. Et là où les Becher coupaient la végétation au pied des objets, Demay frères laissent le petit sapin, l'échelle, la cour de la ferme. Car cela est.
Simplement.
Cela est.
J'aimerai toujours ceux qui, par leur photographie, racontent la présence sans faire semblant d'en inventer la réalité, sans prendre cette présence pour une prise de chasse, sans l'incongruité de celui qui croit voir ce que le commun laisserait à l'extérieur du monde contemporain. Nous ne vous avons pas attendu. Nous appartenons à cette histoire de la photographie qui ne met pas au monde un corpus mais qui simplement, dans la lumière retenue, raconte d'abord que nous sommes debout face à ce monde dont l'infini des formes, des histoires, des disparitions sont un territoire qui ne mérite aucune clôture typologique ou conceptuelle mais seulement l'immense joie de nous y rencontrer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire