samedi 31 mars 2018

Série Fernand Nathan le retour, épisode 4


Alors ?
Vous savez où vous êtes ?
Une barre basse s'étend dans une douce diagonale sur toute la largeur de la carte postale, nous pourrions bien être partout, chez n'importe qui, dans n'importe quel programme de logements collectifs.
Fenêtres en bandeaux, blancheur accentuée, décrochements réguliers de la façade, rien depuis cette distance qui nous permette de crier au génie, de sauter sur notre chaise devant autant d'audace moderniste...
Pourtant c'est Herr Gropius qui sert la soupe ! Oui...
Nous sommes devant le lotissement appelé Siemenstradt-Berlin par l'éditeur. Le cliché lui aussi autorisé par Herr Gropius est de l'agence Keystone. Siemenstadt nous dit bien qu'il s'agit d'un ensemble construit pour loger les ouvriers de chez Siemens... On notera que l'éditeur Nathan oublie un S, il s'agit bien de SiemensStadt...
Vous trouverez partout les informations sur ce groupement de constructions pour lequel Herr Gropius n'était d'ailleurs pas seul à proposer des îlots.
Une fois encore le choix de cette photographie pose des questions. D'abord, peut-on vraiment aborder la modernité par ce biais ? Peut-on vraiment en comprendre sa radicalité ? Que voulait donc affirmer l'éditeur avec un tel choix d'image aussi peu remarquable, même à l'époque ? On n'y voit goutte comme dirait l'autre...
Seuls, sans doute, la répétition et l'étirement infini pouvaient provoquer un peu d'interrogation sur la portée de cette architecture. On peut lire aussi son implantation, certes, un rien travaillée par le photographe venant mettre buissons et bouleau sur le premier plan, accentuant l'effet de ville dans un parc. Ce nettoyage d'ailleurs du plan herbeux, la radicalité de cette moquette vide sous les fenêtres de tous les habitants laissent pantois. La valeur de cette vacance paysagère devrait agir comme une qualité, s'opposant de fait, propre, ininterrompue, à la construction pure, devenue une abstraction habitable. Prospect visible et sans fin.
L'image en fait dit peu de l'architecture en tant que liaison, que jeu des passages et des limites, du plan et des articulations. La nature réduite à un parc se doit de laisser s'étaler la bande construite affirmant de fait une égalité de traitement des habitations, si ce n'est des habitants. Un égalitarisme d'image qui assigne à la fonction collective du logement le désir d'une architecture éteignant les différences. De fait, une architecture de classe où chacun, en montrant du doigt son chez soi, montre celui du voisin.
Est-ce ce qui en fait la profonde beauté ? Oui.
Alors dans cette série Fernand Nathan, avec quoi accompagner Herr Gropius ?
J'avais envie d'une forme bien tendue, bien nette. J'avais envie d'une sensualité d'épiderme dans un matériau étranger. Une forme sur la pointe des pieds, légère, gracile mais solide, j'ai eu envie de ça :
la Diane de Jean-Antoine Houdon.




























































mercredi 28 mars 2018

De la photographie contemporaine, enfin.

J'ai toujours aimé les chantiers.
Ils sont le lieu étrange d'une impermanence, d'un désordre apparent dans lequel seuls, ceux qui y œuvrent, en connaissent le sens, lieu aussi des extravagances techniques, des forces de la pensée, l'ingénierie et des forces physiques, les corps des travailleurs.
L'un avec l'autre.
J'ai toujours aimé le travail de Sylvain Bonniol. Je l'ai toujours défendu et surtout, surtout, je l'ai toujours jalousé.
Peu de photographes m'impressionnent comme lui, car, voyez-vous, (vous voyez d'ailleurs ?) je l'ai vu au travail. J'ai posé pour lui comme ont posé les carènes de tôles soudées du chantier naval de Saint-Nazaire.


Sylvain Bonniol n'est pas de ceux qui viennent en safari, vite, voulant laisser croire que surgissent là les objets, comme sous la battue de rabatteurs. Il fait d'abord corps avec les lieux et c'est bien ce que démontre son dernier et superbe ouvrage, rare dans la profusion des éditions de photographies contemporaines, consommant à l'envi du jeune photographe à ciel blanchi sur Dibond.
J'ose un parallèle et une référence, j'en ose deux : la solidité de l'altérité d'un Sanders, la modestie puissante d'un Kollar. ( la France travaille)
Car, voyez-vous, (vous voyez ?) il prend son temps, compose, décide, revient, attend même sagement que sa présence puisse déclencher la complexité d'une rencontre avec, non seulement la photogénie évidente des lieux du chantier mais surtout avec ceux qui y évoluent, sidérés qu'un regard extérieur puisse établir un ordre, puisse comprendre leur monde. Sylvain Bonniol n'est pas naïf à sa commande, il sait qu'il doit jouer avec, être en quelque sorte lucide à celle-ci. Il le fait consciemment, j'allais dire consciencieusement, non pas pour courber l'échine sous haut patronat industriel mais simplement parce qu'il veut aussi révéler cet angle de la communication d'entreprise engluée dans des enjeux d'images, débordant ainsi les seules questions du spectaculaire. C'est là, sur ce point précis que Sylvain Bonniol se détache de ce genre, le tordant, le brisant, dans d'infimes détails, dans les compositions puissantes, dans des corps d'ouvriers et de techniciens posant et surtout dirigés. Il faudrait être bien naïf pour confondre cet ouvrage avec un livre promotionnel d'entreprise.
Sylvain Bonniol, s'il ne renie rien de sa commande, (instrument de sa venue), la déborde et surtout la reconstruit comme un moment à lui, solide, fidèle et surtout cadré. Il fait son œuvre, tout comme le personnel des chantiers. Partout, dans chaque cliché, chaque angle, Sylvain Bonniol tout en donnant à voir, replace d'abord son idée de ce que doit être un photographe contemporain, n'ayant ni peur de la documentation ni du style. À l'histoire épuisée de la Nouvelle Objectivité, il oppose une forme sereine et un retour à la sensibilité qui doit d'abord laisser la chance de voir.

Voir.

Voir est le verbe qui lui va le mieux.
Car aujourd'hui, si l'académisme photographique se nourrit sans fin d'une injonction à une pseudo-absence du photographe face au sujet, Sylvain Bonniol lui répond par une altérité aussi bien construite sur les reflets des objets du monde que sur ceux qui les produisent. Il est debout, il est là, avec eux.

Avec eux.

Nous, ici, sommes avec lui.
J'ai même surpris son ombre debout sur un cliché.
Et ce n'est pas pour rien que son livre porte le titre de Visages d'un chantier naval. C'est ce visage qu'il veut comprendre.
Alors, je me permets de vous conseiller vivement cet ouvrage de photographie contemporaine qui rompt, et c'est heureux, avec l'objectivité fatiguée des typologues du dimanche.
Pagination, impression, textes, projet éditorial, tout est parfaitement tenu par le photographe, il s'agit donc d'un immense document mais aussi, et surtout d'un vrai livre d'artiste.
Avec des gens, oui, avec des gens dedans.
Et les bleus, partout, les bleus.

Visages d'un chantier naval, Saint Nazaire
Sylvain Bonniol
édition de la Martinière
isbn-978-2-7324-7824-1
32 €
Merci d'acheter votre exemplaire chez un libraire indépendant.
Pour voir ou revoir le travail de Sylvain Bonniol :
http://bonniol-photo.com/
















mardi 27 mars 2018

Le Corbusier, génie, certes, mais génie civil

Je suis certain que si je trouvais une personne ne connaissant pas Le Corbusier et que je lui montrais cette carte postale en lui demandant de quoi il s'agit, cette personne pourrait bien sans trop de difficultés me dire qu'il s'agit d'un échangeur d'autoroute ou d'un pont :


Et ce serait bien normal car tout, dans le dessin des piliers, pardon... des pilotis de la Cité Radieuse de Marseille, évoque cet univers du génie civil. La massivité, les angles arrondis, les banchages, les nervures bien apparentes, les poutres de liaisons, l'angle même des piliers, pardon... des Pilotis nous y font croire. Et d'ailleurs une visite sur place, ne retire rien à cette sensation d'un déplacement de programme, comme si, pour d'abord accéder à des logements, nous devions nous rendre à pied sous un échangeur, un peu comme lorsqu'on se perd dans une zone industrielle.
Pourquoi sommes-nous là ?
J'avoue, et cela fera bondir quelques aficionados de Corbu, que j'ai toujours trouvé ces piliers, pardon... ces pilotis un peu bas et ne permettant pas réellement au regard de traverser l'espace entre la terre et le ciel. Ce désir de transparence, laissant certes, la circulation se faire et agissant comme un immense préau souvent investi judicieusement par les enfants, manque un rien d'élan, de suspension, bref de gracilité que l'on pourrait attendre de pilotis, pardon... de piliers soutenant cette masse immense.
La carte postale des éditions Ryner (écrivez-moi) nous donne quelques informations.
On note l'utilisation ostensible du mot pilotis qui sont donc 34 et on nous informe même qu'ils sont creux, sans doute pour provoquer l'étonnement face à une légèreté possible que l'image d'une massivité renie. Cette image que produit le béton lorsqu'il est ainsi clos en carapace est souvent utilisée par les architectes, posant ainsi le regard sur une force qu'il ne faut pas médire mais que l'œil accepte comme un fait et non comme une réalité technique. Le béton est une coquille, pas un rocher.
N'oublions pas que ces piliers creux sont eux-même reliés en sous-sol à une construction invisible faite de reprises de charges de piliers souterrains. Le vrai génie civil de la Cité Radieuse est aussi là, sous cette aire de jeux des enfants, ignorant que les forces gravitationnelles s'amusent sous leurs pieds.
Oui.


Peut-être que parmi ces enfants, certains bien sages auront reçu en cadeau le petit livre de Jacqueline Lallemand, Petite Histoire de la Construction, qui par ses illustrations de Pierre Belvès nous raconte et nous montre les enjeux du bâtiment et de l'industrie du ciment. Ce livre daté de 1958 est d'ailleurs une édition du Syndicat National des Fabricants de Ciments et Chaux Hydrauliques.
Sur sa couverture, et seulement là, Pierre Belvès nous montre le chantier de la Cité Radieuse de Marseille. On y voit les pilotis sous coffrage et une première tranche de l'immeuble. Une chose m'étonne c'est que l'illustrateur a laissé visible l'excavation au premier plan et posé les pilotis comme pris dans le creux des fondations. Le niveau du sol n'étant pas à sa place, oubliant les semelles d'appui. Est-ce moi qui ne comprends pas bien le dessin de Pierre Belvès ? Est-ce une sorte de raccourci graphique lui permettant de montrer l'essentiel pour un livre d'enfant ?
On notera la très belle qualité de ce dessin, sa gracilité et la parfaite mise en page de cette couverture.
Qui maintenant vous parlera aussi de la visée sur le paysage, celle découpée au fond de la photographie, un peu flou, un peu loin, encadrée par l'implacable succession des piliers ? Comment cet effet visuel de zoom (merci Claude Lothier pour ton expérimentation brillante) a-t-il pu chez certains habitants engendrer doutes et amusements sur les lois de la Perspective ?









































































samedi 24 mars 2018

Série Fernand Nathan le retour, épisode 3


De loin, comme ça, un peu perdue, cette gare pourrait en évoquer d'autres, en France, comme celle de Limoges ou de Rouen, mélange d'une bâtisse épaisse, massive, avec son campanile athée servant à donner, de loin, l'heure aux voyageurs.
On y retrouve ce frottement avec la modernité par ses volumes et par ses détails avec un régionalisme expressif un peu surjoué.
Nous sommes pourtant un peu loin de la France, nous sommes à Helsinki, devant sa gare dessinée par l'architecte Saarinen. L'éditeur de la carte postale nous donne le nom en finnois, Helsingfors et nous raconte qu'il a eu l'autorisation du Professeur Yrio Hirn pour la publication. Il s'agit sans aucun doute de Yrjö Hirn, grand critique d'art finlandais dont le prêt d'une photographie pour faire une carte postale reste tout de même mystérieux. A-t-il vraiment produit ce cliché ?
Une fois encore la photographie est divisée en trois : un ciel absent, une architecture allongée d'un bord à l'autre, un sol étendu.
La carte postale est nommée S.XIII et porte le N°10.
On cherche les gens, on cherche en vain une animation quelconque, absence qui est bien étrange aux alentours d'une gare. Un minuscule groupe d'hommes attend sous un réverbère.
Depuis ce point de vue, peu de chance de lire le décor, de comprendre le mélange bizarre de cette architecture qui cherche le renouveau nationaliste d'une architecture finlandaise. Ne reste que l'étalement des volumes. Les sculptures de l'entrée si connues, si représentatives de ce style grandiloquent sont même peu visibles finalement.
Je vous donne un extrait de l'ouvrage Architecture Contemporaine Francesco Dal Co et Manfredo Tafuri qui dit bien ce moment de l'architecture :


J'ai cherché dans la série Fernand Nathan ce que je pouvais coller à cette architecture de Saarinen et j'ai trouvé que L'Ile San Bartolomeo de Corot pouvait bien correspondre surtout ainsi reproduite, écrasant les couleurs, réduisant la ville à des aplats de tonalités judicieusement réunies.
Même ainsi, je trouve ce tableau de Corot absolument magnifique, il me rappelle les superbes lithographies de Jean-Baptiste Sécheret.











lundi 19 mars 2018

Série Fernand Nathan le retour, épisode 2

Le grand ordre français :


Cette fois la série Nathan aborde les Frères Perret avec une carte postale coupée en deux qui nous montre deux vrais chefs-d'œuvre le Théâtre des Champs-Élysées et l'Église du Raincy. Il est clair que ce choix de faire une seule carte postale avec deux constructions des mêmes architectes est la preuve de la place prépondérante des Frères Perret dans l'actualité architecturale du moment. On notera que le collage n'est vraiment pas très travaillé, que le montage des deux photographies ne s'autorise rien de très artistique, un peu comme des images collées dans un cahier. Cet abandon stylistique de l'éditeur Nathan est la preuve que ce qui compte vraiment c'est de multiplier les exemples de l'œuvre des Perret en lieu et place d'un montage artistique. Les clichés sont signés de  Chevojon qu'il est facile de tracer. On devine donc là encore, une édition faite d'achats de droits photographiques et non d'un désir de représentation particulier. Le grand bazar des images en quelque sorte.
Cette carte postale porte le numéro de série S. XIII et le N°3.
On note également que la carte postale a obtenu, et c'est inscrit sur le verso, l'autorisation de publication directement de Auguste Perret.
Je vous laisse trouver toutes les informations sur ces deux constructions. Je vous rappelle que nous avons déjà vu des cartes postales du Raincy ou des frères Perret ici, par exemple :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2015/12/dis-donc-alvar-ton-grand-pere-avait.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/11/la-sainte-chapelle-du-beton-arme.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2017/05/les-perret-methode-photographique.html 
http://archipostalecarte.blogspot.fr/search/label/Auguste%20Perret 
Tout a déjà été écrit sur la rigueur du dessin, la connaissance absolue du béton, les sensations spatiales ou aussi, l'écriture parfaitement classique des constructions des Frères Perret. La perfection est totale, rien ne tombe à l'œil, rien n'échappe à la lumière. Les forces sont conduites avec puissance et surtout élégance.






































Alors, dans le lot de cartes postales de la série Nathan, je trouve sans trop de difficultés l'autre carte postale qui pourrait accompagner celle des Perret, je vous propose celle-ci. Vous allez voir à quel point cela se complète et discute :


Nous sommes à Versailles devant le Petit Trianon de l'architecte Jacques-Ange Gabriel. Cette fois, on retrouve Lévy-Neurdein comme photographe. Appartenant à la série S.XII et portant le N°3 la symétrie est réclamée. Grandes fenêtres en hauteur (suivez mon regard...) rigueur de l'ordre, parfait équilibre des échelles, réduction décorative qui laisse jouer l'essentiel, multiplication des lignes pour affirmer et faire vibrer les ombres, ce grand ordre classique de Gabriel est parfait avec les Perret.